Le lieu de ma naissance fût le lieu où j'ai forgé ma résolution. Le vaste camp d'esclave était une prison ouverte, un mouroir pour Trykers victimisés par les Matys dont les larges palissades étaient férocement gardées. Je suis né esclave, jeté dès que j'ai pu marcher dans les basses tâches que mon peuple était forcé à exécuter. Alors que mes compatriotes foraient toujours plus profonds pour satisfaire la cupidité matis, je nettoyais les zones de forage de mes petites mains, faisant d'incessants allers retours chargé des excréments d'Atys jusqu'à la fosse de vidage, un énorme trou que nos tortionnaires avaient fait creusé au prix de la vie de nombreux Trykers, y compris mes parents. Verser les seaux d'ordure et retourner les remplir constituait la plus grande activité de mes journées. Souvent des gardes me pressaient par leur fouet à accélérer la cadence, alors même que mes courtes jambes ne pouvaient plus me porter. Des Trykers venaient alors m'aider, me relevant et prenant en charge ma sale besogne alors qu'ils recevaient à leur tour les coups, à ma place. J'ai alors commencé à réaliser, au fur et à mesure que mon esprit s'ouvrait et se développait, j'éprouvais une énorme affection pour mes compagnons d'infortune, eux qui se chargeaient de mes malheurs en plus de supporter les leurs, eux qui arrivaient toujours à me sourire alors que je n'arrivais qu'à pleurer. Les Matis se montraient jour après jours plus hargneux et frustrés, et je reçus ma première blessure à l'arme blanche à l'âge de sept ans. Seulement pour avoir jeté de dépit les pelles au pied du Matis qui me les apportait. Il voulait que je creuse une yubotière, un trou où un Tryker était enterré jusqu'au cou et qui y restait jusqu'à sa mort, une punition pour de rares rebellions.
Mais chaque journée, il y avait un endroit et un moment où je me sentais bien, où enfin je pouvais laisser douleurs et peines pour m'abandonner à une félicité béate. Chaque fois que le soleil était au zénith, tous les homins du camp esclavagiste, esclaves Trykers et tourmenteurs Matis, se rassemblaient dans le plus grand bâtiment cubique situé au centre du camp. Ici, dans ce havre de pierre rouge, un seul être comptait qui dépassait tous ceux présents. Jena la Juste y était vébérée, notre Mère A Tous, créatrice d'Atys et des homins, nous accordait ici une pause dans notre vie de souffrance. Le rituel était toujours le même : à l'heure dite, on s'approchait de la large entrée, et sans condition de race, tout le monde entrait. J'admirais toujours les grossières peintures qui retraçaient des combats de la Karavan, anéantissant des hordes de kittins pour sauver les homins de l'extinction. Ici chacun, Tryker ou Matis, se plaçait où il le voulait comme il le voulait. Certains étaient en lotus et fermaient les yeux, semblant ressentir en eux l'appel de Jena, d'autres s'allongeaient et fixaient le plafond, songeant à notre Divinité ; moi, j'admirais juste ce pouvoir énorme qui faisait se réunir nos deux forces. Sans qu'elle se soit montrée, sans qu 'elle ait donnée de directives, Jena la Juste faisait s'asseoir côte à côte des ennemis, unis dans la même communion d'esprit. Seule une déesse, la Créatrice de Tout, pouvait faire accomplir ce prodige, et je sus que c'était grâce à elle que mes compagnons parvenaient à me sourire. Alors quand je fus en âge de penser comme un homin, j'entrais et priais de toutes mes forces pour que mon peuple soit libre, que les Trykers connaissent enfin la liberté.
Et je fus exaucé. Une aube lors de ma vingtième année, seuls les cris des Matis nous réveillèrent, sans les habituelles grêles de coups. Et au lieu de sentir du mépris dans leurs voix, nous sentions de la peur. Une grande terreur en fait, ce qui nous força tous à rejeter notre légère couverture puante et miteuse et à nous lever. Nous dormions dehors, le cou relié à un anneau dans un mur de bâtiment par une lourde chaîne ; chaque Tryker se leva pour voir les Matis fuir le mur nord où nous entendions la raison de leur folle course vers le sud : des rugissements étrange et d'énormes coups contre la frêle palissade de bois. Le kittins étaient là, et la porte nord explosa pour laisser entrer ce que j'appris être plus tard des kinchers, des soldats kittins. Les Matis ne combattirent pas et fuyaient vers la porte sud, laissant les Trykers enchainés au milieu pour ralentir les kittins, nous laissant à notre sort. Ce n'étaient donc pas des combattants, pas des guerriers, ils étaient seulement capables de fuir dans la honte. Je vis mes compagnons se dresser, fiers, devant la déferlante kittin qui nous tombait dessus. Nous n'avions que nos poings, et pourtant nous souhaitions donner des coups avant que notre sève ne coule. Le hasard fît que j'étais attaché près de la porte sud, et je ressentis une petite victoire le massacre des matis qui fuyaient. Les kittins avaient élaborés une stratégie : leurs éclaireurs kipestas avaient contournés le clan avant que les kinchers ne chargent, et ils cueillaient les fuyards comme les yubos cueillaient les graines. Je me suis alors attelé à taper frénétiquement et inutilement sur la chaîne qui m'empêchait de bouger, m'usant les phalanges sur ce bout de résine durcie alors que les cris de défis et de rages des Trykers se disputaient l'espace sonore avec les rugissements des kittins. Je voyais s'approcher inexorablement la marée de kittins qui tranchait mes compatriotes, mon peuple se faisait massacrer sans que je ne puisse ni réagir ni me battre. Puis une jambe de Tryker s'abattit lourdement sur la chaîne, la faisant craquer et se fendre. Je me suis acharné alors à sauter sur cette faiblesse dans la résine, et elle céda.
Je jetais un coup d'oeil vers l'armée des kinchers et vis qu'il n'yavait plus beaucoup de Trykers entre eux et moi pour faire tampon. En quelques pas j'atteignis la porte sud et un champ de Matis démembrés s'étendait devant moi. Une dernière joie avant la mort. Devant moi les rapides kipestas, derrière moi les féroces kinchers. J'ai alors crié ma rage de vivre, ma haine des Matis, et finalement mon amour pour Jena, celle qui avait permis les seuls rares moments de bonheur dans ma vie. Je me retourna pour voir un kincher peu pressé car rassasié s'approcher de moi, je l'insultais de tout mon vocabulaire quand il explosa dans une lumière violette. J'évitais les bouts de pattes tranchantes propulsés vers moi et vis que mon adversaire n'était pas le seul à périr : devant et derrière, un bombardement nourri tombait sur les kinchers et les kipestas, brusquement forcés à la débandade. Je réalisais alors que je m'en sortirai, car des silhouettes en robes noires et rouges, couvertes d'un masque, balayaient les derniers kittins qui osaient se rebeller. J'ai avancé vers l'un de ces soldats que j'avais reconnu comme faisant parti de la Karavan, et c'est en pleur que j'enfouis mon visage sur sa robe. Il me caressa les cheveux avec une infinie douceur et je m'écroulais dans ses bras, inconscient.
Un messab qui cherchait à grignoter la grosse touffe d'herbe où était ma tête me réveilla en la poussant avec son sabot. Je n'étais plus dans un milieu forestier mais sur ce que j'appris plus tard être du sable, seul mais libre et vivant. Je pris cette substance granuleuse entre mes mains et elle s'égrena entre mes doigts, comme la vie des mes compagnons face aux kittins. Une pensée pour eux, puis une autre pour Jena et ses serviteurs qui m'avaient secourus. J'entendis alors des rires qui ressemblaient à ceux de mes compagnons. Certains avaient donc survécus, et je franchis en hâte la dune proche pour admirer un spectacle qui me cloua sur place. Ce n'étaient pas eux, mes compagnons d'esclavage, mais c'étaient indubitablement des Trykers. Et qu'ils étaient nombreux ! Il existait donc d'autres Trykers que ceux avec qui j'avais partagé ces années d'esclavage ! Je ne pus pas apercevoir de Matis armés de fouets, mais n'osant trop y croire j'approchais vers l'être le plus rassurant, le membre de la karavan. Il m'apprit que j'étais dans une ville appelée Fairheaven, que l'esclavage n'était qu'une coutume disparue depuis longtemps et que d'autres villes de Trykers existait sur ces terres appelées Aeden Aqueous. Je regardais tous ces Trykers heureux. Qu'ils étaient beaux ! Certains dansaient ou chantaient, d'autres riaient, ils avaient dans les yeux la malice et la douce folie que j'apercevais parfois chez mes compagnons. Mais ici elle s'exprimait clairement et sans limite. J'étais au milieu de Trykers libres et fiers, et j'étais l'un d'eux.
Me procurer du matériel de chasse me fut facile, le partage étant au centre de la société Tryker. Je m'attelais à remplir les missions que me donnaient la Karavan, éliminer les prédateurs qui freinaient le commerce. J'ai vite trouvé mon arme de prédilection : la pique permettait de trouver facilement les défauts des carapaces de cloppers, il suffisait alors de donner un violent coup vers l'avant pour toucher un point vital. Un après-midi où je m'accordais une sieste sur une plage à l'ombre d'un palmier, l'un des nombreux plaisirs de la vie à Aeden, un rêve étrange m'assailla. Je me trouvais devant un énorme vortex violet, dont les étincelles cristallines étaient projetées haut pour doucement retomber. Je me suis réveillé en sueur alors que j'allais franchir ce vortex. Ce n'était pas un rêve, il était trop clair, trop réel. Je sus que c'était un signe de Jena, ce vortex était celui qui menait hors d'Atys comme elle avait promis qu'elle amènerait les homins hors de ce monde. Plusieurs semaines plus tard, je rencontrais d'autres rêveurs qui avaient partagé mon expérience L'exactitude de nos rêves convainquit certains que ce n'en était pas vraiment un. Nous nous sommes retrouvés un jour près de Fairheaven et avons décidés de créer un groupe pour accueillir les rêveurs. La Confrérie des Etoiles était née, un rassemblement d'homins attendant que Jena nous amène hors d'Atys. Plusieurs d'entre nous adoraient les démons kamis, d'autres ni Jena ni ces animaux malveillants, mais moi je savais que c'était notre Mère à Tous qui nous avait envoyé ce rêve.
La Confrérie s'agrandissait et un jour nous recrutâmes ma future femme. C'était une foreuse experte et une homine à forte tête. Je me proposais souvent de l'aider à forer, l'expérience acquise pendant mes années d'esclave pouvant enfin servir utilement. Je débarrassais ses sources des impuretés, et la proximité mena à l'amitié, et l'amitié à l'amour. La Confrérie, attendant que Jena nous amène hors d'ici, se consacra à la défense d'Aeden, aida à repousser les nombreuses invasion de kittins qui voulaient envahir notre bastion de liberté. Mais les années passèrent et la motivation s'émoussa. Trop de graines de vie de nos confrères étaient détruites, trop d'incohérences dans la politique de Wyler réduisaient notre désir de protéger les lacs. Finalement, Dianne ma femme quitta la Confrérie, et je la suivis quelques jours plus tard, certain que Jena la Juste reconnaitra les siens. Sa foi n'avait jamais était aussi forte que la mienne, elle me regardait avec humour et mansuétude quand jelui parlais de la grandeur de notre Créatrice et de la puissance de la Karavan. Mais je ne voulais pas la quitter, et nous avons décidés de donner un nouveau tournant à nos vies.
Nous nous sommes installés plusieurs mois chez les kitiniers, observant comment ils chassaient et capturaient les kitins, et avons finalement décidés de mettre en application ce que nous avions appris dans les primes. Mais ce n'était pas évident, nous essayions d'élever des kittins pour se nourrir mais la seule chose que nous pouvions faire était d'orienter la migration des kibans et kizoars vers des lieux plus surs. Nous sommes alors devenus cannibales, mangeant les Zorais et les Matis que l'on croisait. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, c'était très bon une fois cuit. Puis le plus grand malheur de ma vie arriva. Poursuivant un kiban égaré de son troupeau, ce dernier se cacha dans un groupe de kipuckas. De chasseurs nous sommes subitement devenus proies, et Dianne n'en réchappa pas Je la vis se faire déchiqueter par leurs griffes, sans rien pouvoir faire d'autre que fuir plus loin pour sauver ma vie. La mort dans l'âme, je me retranchais dans une grotte et cessa de parcourir les primes, mangeant les charognes et les plantes je devins un ermite.
Plusieurs mornes années passèrent, je trainais le vide dans mon coeur jusqu'au jour une brève et forte impulsion m'ordonna de retourner chez moi, qu'il existait un chez moi hors de ces cavernes de nuit éternelle. Peut-être Jena avait encore besoin de moi. Je pris alors mes armes craquelées et mes armures fracassées, et me rendis à Faiheaven, capitale des Trykers. A peine j'en apportais les pontons, me réhabituant au soleil, qu'un Tryker me parla de son groupe, qui révérait Jena et protégeait les lacs. Fredon me parlait des gardiens des lacs, et de vieux souvenirs remontèrent. Celui qui fabriquait mes armures y appartenait, j'appris que Paaaf s'était renommé Emjie. Le chef de la guilde Acour et fils de Fredon était arrivé alors et me proposa de les rejoindre. Servir Jena et défendre les lacs, je n'avais rien de mieux à faire. Surtout que les démons étaient désormais très implantés dans Aeden, manipulant honteusement mes frères Trykers. J'appris aussi que Wyler était mort de la main d'un Zorai qui maitrisait certaines propriétés de la goo. Une preuve de plus que les fourbes Kamis en étaient les créateurs et l'entretenaient, eux qui avaient empêché la Karavan d'obtenir un cube d'ambre qui lui aurait permis de l'éradiquer. Endossant mes vieilles armes et armures, je m'apprètais une fois de plus à combattre Kittins et Kamis, ennemis d'Atys et des homins, et à servir avec toujours plus de ferveur Jena la Juste.
Mais chaque journée, il y avait un endroit et un moment où je me sentais bien, où enfin je pouvais laisser douleurs et peines pour m'abandonner à une félicité béate. Chaque fois que le soleil était au zénith, tous les homins du camp esclavagiste, esclaves Trykers et tourmenteurs Matis, se rassemblaient dans le plus grand bâtiment cubique situé au centre du camp. Ici, dans ce havre de pierre rouge, un seul être comptait qui dépassait tous ceux présents. Jena la Juste y était vébérée, notre Mère A Tous, créatrice d'Atys et des homins, nous accordait ici une pause dans notre vie de souffrance. Le rituel était toujours le même : à l'heure dite, on s'approchait de la large entrée, et sans condition de race, tout le monde entrait. J'admirais toujours les grossières peintures qui retraçaient des combats de la Karavan, anéantissant des hordes de kittins pour sauver les homins de l'extinction. Ici chacun, Tryker ou Matis, se plaçait où il le voulait comme il le voulait. Certains étaient en lotus et fermaient les yeux, semblant ressentir en eux l'appel de Jena, d'autres s'allongeaient et fixaient le plafond, songeant à notre Divinité ; moi, j'admirais juste ce pouvoir énorme qui faisait se réunir nos deux forces. Sans qu'elle se soit montrée, sans qu 'elle ait donnée de directives, Jena la Juste faisait s'asseoir côte à côte des ennemis, unis dans la même communion d'esprit. Seule une déesse, la Créatrice de Tout, pouvait faire accomplir ce prodige, et je sus que c'était grâce à elle que mes compagnons parvenaient à me sourire. Alors quand je fus en âge de penser comme un homin, j'entrais et priais de toutes mes forces pour que mon peuple soit libre, que les Trykers connaissent enfin la liberté.
Et je fus exaucé. Une aube lors de ma vingtième année, seuls les cris des Matis nous réveillèrent, sans les habituelles grêles de coups. Et au lieu de sentir du mépris dans leurs voix, nous sentions de la peur. Une grande terreur en fait, ce qui nous força tous à rejeter notre légère couverture puante et miteuse et à nous lever. Nous dormions dehors, le cou relié à un anneau dans un mur de bâtiment par une lourde chaîne ; chaque Tryker se leva pour voir les Matis fuir le mur nord où nous entendions la raison de leur folle course vers le sud : des rugissements étrange et d'énormes coups contre la frêle palissade de bois. Le kittins étaient là, et la porte nord explosa pour laisser entrer ce que j'appris être plus tard des kinchers, des soldats kittins. Les Matis ne combattirent pas et fuyaient vers la porte sud, laissant les Trykers enchainés au milieu pour ralentir les kittins, nous laissant à notre sort. Ce n'étaient donc pas des combattants, pas des guerriers, ils étaient seulement capables de fuir dans la honte. Je vis mes compagnons se dresser, fiers, devant la déferlante kittin qui nous tombait dessus. Nous n'avions que nos poings, et pourtant nous souhaitions donner des coups avant que notre sève ne coule. Le hasard fît que j'étais attaché près de la porte sud, et je ressentis une petite victoire le massacre des matis qui fuyaient. Les kittins avaient élaborés une stratégie : leurs éclaireurs kipestas avaient contournés le clan avant que les kinchers ne chargent, et ils cueillaient les fuyards comme les yubos cueillaient les graines. Je me suis alors attelé à taper frénétiquement et inutilement sur la chaîne qui m'empêchait de bouger, m'usant les phalanges sur ce bout de résine durcie alors que les cris de défis et de rages des Trykers se disputaient l'espace sonore avec les rugissements des kittins. Je voyais s'approcher inexorablement la marée de kittins qui tranchait mes compatriotes, mon peuple se faisait massacrer sans que je ne puisse ni réagir ni me battre. Puis une jambe de Tryker s'abattit lourdement sur la chaîne, la faisant craquer et se fendre. Je me suis acharné alors à sauter sur cette faiblesse dans la résine, et elle céda.
Je jetais un coup d'oeil vers l'armée des kinchers et vis qu'il n'yavait plus beaucoup de Trykers entre eux et moi pour faire tampon. En quelques pas j'atteignis la porte sud et un champ de Matis démembrés s'étendait devant moi. Une dernière joie avant la mort. Devant moi les rapides kipestas, derrière moi les féroces kinchers. J'ai alors crié ma rage de vivre, ma haine des Matis, et finalement mon amour pour Jena, celle qui avait permis les seuls rares moments de bonheur dans ma vie. Je me retourna pour voir un kincher peu pressé car rassasié s'approcher de moi, je l'insultais de tout mon vocabulaire quand il explosa dans une lumière violette. J'évitais les bouts de pattes tranchantes propulsés vers moi et vis que mon adversaire n'était pas le seul à périr : devant et derrière, un bombardement nourri tombait sur les kinchers et les kipestas, brusquement forcés à la débandade. Je réalisais alors que je m'en sortirai, car des silhouettes en robes noires et rouges, couvertes d'un masque, balayaient les derniers kittins qui osaient se rebeller. J'ai avancé vers l'un de ces soldats que j'avais reconnu comme faisant parti de la Karavan, et c'est en pleur que j'enfouis mon visage sur sa robe. Il me caressa les cheveux avec une infinie douceur et je m'écroulais dans ses bras, inconscient.
Un messab qui cherchait à grignoter la grosse touffe d'herbe où était ma tête me réveilla en la poussant avec son sabot. Je n'étais plus dans un milieu forestier mais sur ce que j'appris plus tard être du sable, seul mais libre et vivant. Je pris cette substance granuleuse entre mes mains et elle s'égrena entre mes doigts, comme la vie des mes compagnons face aux kittins. Une pensée pour eux, puis une autre pour Jena et ses serviteurs qui m'avaient secourus. J'entendis alors des rires qui ressemblaient à ceux de mes compagnons. Certains avaient donc survécus, et je franchis en hâte la dune proche pour admirer un spectacle qui me cloua sur place. Ce n'étaient pas eux, mes compagnons d'esclavage, mais c'étaient indubitablement des Trykers. Et qu'ils étaient nombreux ! Il existait donc d'autres Trykers que ceux avec qui j'avais partagé ces années d'esclavage ! Je ne pus pas apercevoir de Matis armés de fouets, mais n'osant trop y croire j'approchais vers l'être le plus rassurant, le membre de la karavan. Il m'apprit que j'étais dans une ville appelée Fairheaven, que l'esclavage n'était qu'une coutume disparue depuis longtemps et que d'autres villes de Trykers existait sur ces terres appelées Aeden Aqueous. Je regardais tous ces Trykers heureux. Qu'ils étaient beaux ! Certains dansaient ou chantaient, d'autres riaient, ils avaient dans les yeux la malice et la douce folie que j'apercevais parfois chez mes compagnons. Mais ici elle s'exprimait clairement et sans limite. J'étais au milieu de Trykers libres et fiers, et j'étais l'un d'eux.
Me procurer du matériel de chasse me fut facile, le partage étant au centre de la société Tryker. Je m'attelais à remplir les missions que me donnaient la Karavan, éliminer les prédateurs qui freinaient le commerce. J'ai vite trouvé mon arme de prédilection : la pique permettait de trouver facilement les défauts des carapaces de cloppers, il suffisait alors de donner un violent coup vers l'avant pour toucher un point vital. Un après-midi où je m'accordais une sieste sur une plage à l'ombre d'un palmier, l'un des nombreux plaisirs de la vie à Aeden, un rêve étrange m'assailla. Je me trouvais devant un énorme vortex violet, dont les étincelles cristallines étaient projetées haut pour doucement retomber. Je me suis réveillé en sueur alors que j'allais franchir ce vortex. Ce n'était pas un rêve, il était trop clair, trop réel. Je sus que c'était un signe de Jena, ce vortex était celui qui menait hors d'Atys comme elle avait promis qu'elle amènerait les homins hors de ce monde. Plusieurs semaines plus tard, je rencontrais d'autres rêveurs qui avaient partagé mon expérience L'exactitude de nos rêves convainquit certains que ce n'en était pas vraiment un. Nous nous sommes retrouvés un jour près de Fairheaven et avons décidés de créer un groupe pour accueillir les rêveurs. La Confrérie des Etoiles était née, un rassemblement d'homins attendant que Jena nous amène hors d'Atys. Plusieurs d'entre nous adoraient les démons kamis, d'autres ni Jena ni ces animaux malveillants, mais moi je savais que c'était notre Mère à Tous qui nous avait envoyé ce rêve.
La Confrérie s'agrandissait et un jour nous recrutâmes ma future femme. C'était une foreuse experte et une homine à forte tête. Je me proposais souvent de l'aider à forer, l'expérience acquise pendant mes années d'esclave pouvant enfin servir utilement. Je débarrassais ses sources des impuretés, et la proximité mena à l'amitié, et l'amitié à l'amour. La Confrérie, attendant que Jena nous amène hors d'ici, se consacra à la défense d'Aeden, aida à repousser les nombreuses invasion de kittins qui voulaient envahir notre bastion de liberté. Mais les années passèrent et la motivation s'émoussa. Trop de graines de vie de nos confrères étaient détruites, trop d'incohérences dans la politique de Wyler réduisaient notre désir de protéger les lacs. Finalement, Dianne ma femme quitta la Confrérie, et je la suivis quelques jours plus tard, certain que Jena la Juste reconnaitra les siens. Sa foi n'avait jamais était aussi forte que la mienne, elle me regardait avec humour et mansuétude quand jelui parlais de la grandeur de notre Créatrice et de la puissance de la Karavan. Mais je ne voulais pas la quitter, et nous avons décidés de donner un nouveau tournant à nos vies.
Nous nous sommes installés plusieurs mois chez les kitiniers, observant comment ils chassaient et capturaient les kitins, et avons finalement décidés de mettre en application ce que nous avions appris dans les primes. Mais ce n'était pas évident, nous essayions d'élever des kittins pour se nourrir mais la seule chose que nous pouvions faire était d'orienter la migration des kibans et kizoars vers des lieux plus surs. Nous sommes alors devenus cannibales, mangeant les Zorais et les Matis que l'on croisait. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, c'était très bon une fois cuit. Puis le plus grand malheur de ma vie arriva. Poursuivant un kiban égaré de son troupeau, ce dernier se cacha dans un groupe de kipuckas. De chasseurs nous sommes subitement devenus proies, et Dianne n'en réchappa pas Je la vis se faire déchiqueter par leurs griffes, sans rien pouvoir faire d'autre que fuir plus loin pour sauver ma vie. La mort dans l'âme, je me retranchais dans une grotte et cessa de parcourir les primes, mangeant les charognes et les plantes je devins un ermite.
Plusieurs mornes années passèrent, je trainais le vide dans mon coeur jusqu'au jour une brève et forte impulsion m'ordonna de retourner chez moi, qu'il existait un chez moi hors de ces cavernes de nuit éternelle. Peut-être Jena avait encore besoin de moi. Je pris alors mes armes craquelées et mes armures fracassées, et me rendis à Faiheaven, capitale des Trykers. A peine j'en apportais les pontons, me réhabituant au soleil, qu'un Tryker me parla de son groupe, qui révérait Jena et protégeait les lacs. Fredon me parlait des gardiens des lacs, et de vieux souvenirs remontèrent. Celui qui fabriquait mes armures y appartenait, j'appris que Paaaf s'était renommé Emjie. Le chef de la guilde Acour et fils de Fredon était arrivé alors et me proposa de les rejoindre. Servir Jena et défendre les lacs, je n'avais rien de mieux à faire. Surtout que les démons étaient désormais très implantés dans Aeden, manipulant honteusement mes frères Trykers. J'appris aussi que Wyler était mort de la main d'un Zorai qui maitrisait certaines propriétés de la goo. Une preuve de plus que les fourbes Kamis en étaient les créateurs et l'entretenaient, eux qui avaient empêché la Karavan d'obtenir un cube d'ambre qui lui aurait permis de l'éradiquer. Endossant mes vieilles armes et armures, je m'apprètais une fois de plus à combattre Kittins et Kamis, ennemis d'Atys et des homins, et à servir avec toujours plus de ferveur Jena la Juste.